Le Petit Prince

Dans ses commandes de recrutement, l’entreprise réclame volontiers des « candidats lisibles ». Une série de chiffres les définira et permettra de les classer : leur genre, leur âge, leur rang de sortie à l’école, leur revenu, leur code postal, leur QI, et bien d’autres mesures de cette espèce encore. En procédant de la sorte, le Petit Prince de Saint-Exupéry nous reprocherait d’aborder les autres en ne nous attachant qu’aux apparences quantifiables. Pour connaitre quelqu’un, nous le mesurons et le traduisons en données chiffrées. Or, pour connaître quelqu’un, le Petit Prince nous inviterait plutôt à nous demander : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? ». C’est seulement en interrogeant de la sorte que peut commencer le long processus d’apprivoisement. Il en va de même d’ailleurs dans l’autre sens. Le CA de l’entreprise, son rythme de croissance, sa profitabilité, son nombre de salariés, ses objectifs à long terme sont autant d’informations nécessaires mais pas suffisantes pour faciliter la décision du candidat. « Qui a participé au pot d’adieu du dernier départ à la retraite ? Quelles sont les activités associatives qui rassemblent des salariés ? Est ce qu’il y a une crèche d’entreprise ? » demanderait probablement le Petit Prince déguisé en candidat. L’apprivoisement réciproque est à ce prix, à savoir, non pas du viol de la vie privée mais de l’attention portée à l’autre pour identifier les affinités qui font les associations qui durent plus qu’une période d’essai seulement.